Sous les Auspices de la Nature Sacrée, sous la Protection du Prophète des Forêts

RITES & RITUELS : LE PANTHEISME

par Régis BLANCHET
Conférence donnée au Cercle Villard de Honnecourt Bretagne, le 28 Mars 1998, à Plérin 22290

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Mais tout d'abord, qu'est-ce que le panthéisme ?

La pensée métaphysique contenue dans le mot « panthéisme » est certainement une des plus anciennes au monde, alors que le vocable, lui, est très récent et date de 1705 sous la plume du philosophe irlandais John Toland, un de élèves des cercles spinoziens de Leyde.

Les racines grecques « pan » et « theos » forment le concept suivant : Tout est dans Dieu, Dieu est dans tout. Nous sommes ici sur le plan exclusif d'un schéma d’immanence où l'univers est présenté comme le corps d'une grande unité aux mille facettes, qui n'a jamais commencé et ne finira jamais. Tout est sacré, rien n'est profane, l'homme est immergé dans le divin même s'il ne le voit pas. En tant que créature, il porte en lui, comme tout ce qui est vivant, du brin d'herbe à l'éléphant, une parcelle divine qui le relie au Grand Tout par fusion. Le panthéisme s'oppose fondamentalement à toutes les thèses créationistes et se trouve très proche des grande remises en question apportées par l'astrophysique par exemple. C'est une pensée moderne.

C'est pourquoi il est possible de dire que le panthéisme est une approche contemporaine du sacré qui garde toute sa saveur dans les paganismes antiques, mais aussi dans les trois branches d' Abraham, les religions juive, chrétienne et islamique.

En effet, chez les Chrétiens, Jean Scot Érigène fut un panthéiste ainsi que Maître Eckart, parmi d'autres comme Amaury de Bène ou Giordano Bruno. Avicebron fut un panthéiste juif Avicenne et Averroës furent des panthéistes de l'Islam.

Tous ces auteurs furent un jour ou l'autre condamnés par leurs autorités respectives au nom d'un dieu que l'on voulait imposer comme transcendant, c'est-à-dire séparé du monde mais y intervenant selon sa volonté et par révélations successives .

Ainsi, le panthéisme est une voie trans-culturelle et trans-religieuse sans pour autant tomber dans le syncrétisme. Il est hérétique selon les canons romains quand il se révèle en chrétienté ; il est païen quand il habite des traditions préchrétiennes. Il est toujours combattu par la pensée unique transcendante. D'où tient-il cette force puisqu'il se révèle avoir été une constante dans la pensée humaine particulièrement dans les courants libertaires néoplatoniciens depuis plus de deux mille ans ?

Le panthéisme tient sa force de la vie qui nous entoure. Tout étant sacré, tout étant le réceptacle d'une des hypostases hiérarchisées de la Grande Divinité - quelle que soit sa dénomination religieuse - la prise de conscience du monde et de la nature engendre la prise de conscience de la divinité qui l'anime (le mot étant pris dans son sens « anima », l'âme). Le panthéisme n'est pas doloriste, bien au contraire, il fait percevoir la nature comme un panthéon d'énergies hiérarchisées avec lequel l'homme dialogue librement au rythme des saisons, des mois, des semaines, des jours.

L'homme qui régénéra cette métaphysique afin de la projeter dans notre modernité fut Baruch Spinoza au XVIIe siècle ; John Toland en fut un des propagateurs parmi d'autres comme Swedenborg, Goethe, Schiller, George Sand, Saint-John Perse, Jung, etc.

Dès lors, pour revenir maintenant à la question de départ abordant les rites, les rituels et le sacré, le panthéisme a une approche très claire de ces domaines et ne peut les ignorer. Les rituels sont contenus dans des rites qui tous sont une tentative de relation au sacré.

Le mot « rite » vient d'une racine sanscrite « rita » qui signifie « ce qui est semblable à l'univers ». Les rituels sont donc le plus souvent des « mimes de l'univers » mettant en œuvre principalement le ciel et la terre, les étoiles , le soleil, la lune, les quatre éléments, etc. Ainsi, le temps d'un rituel, l'homme devient un dieu qui régit le monde ; c'est bien là que la fusion avec la dimension sacrée est possible. L'intuition prophétique est ici très nécessaire pour que le «sens » du geste et de l'intention ne perde de sa consistance.

Le panthéisme est une invitation au rituel, à tous les mimes de la nature qui impose ses rythmes à tous ; c'est une remise en place de l'homme au sein d'une nature respectée parce qu'entièrement sacrée et vivante. Partant de là, le panthéisme va faire travailler les deux cerveaux de l'homme , le raisonnable et l'intuitif.

Par l'étude raisonnable de la nature, par l'expérimentation, par un regard d'entomologiste, l'homme v a se poser des questions raisonnables : pourquoi ce sont les fleurs qui choisissent leurs insectes fécondateurs en sélectionnant leurs couleurs et non pas le contraire ; pourquoi la géométrie du cinq se retrouve dans tous les règnes vivants ; pourquoi certains mammifères supérieurs ont des rites mortuaires ; pourquoi les arbres se battent-ils entre eux et comment perçoivent-ils la présence de l'autre, etc. Il y de l'intelligence dans tout cela.

Et le cerveau intuitif de prendre le relais dans un mode prophétique personnel.

Chaque élément naturel est le support d'un petit dieu. Les plantes médicinales sont de la chair des dieux dont on tire des vertus pour les hommes. S'immerger dans la nature, c'est aussi s'immerger dans soi-même, mais aussi dans une divinité immanente, simple, unique et multiple à la fois, et nous retrouvons là le plus vieux thème initiatique de l'humanité venant du bon vieux Socrate : « connais-toi toi-même et tu connaîtras la nature et les dieux ».

Les rites et les rituels ne sont qu'une harmonisation, un mime, une danse joyeuse et sérieuse à la fois, un mariage analogique entre les deux natures du monde et les deux natures de l'homme, les dimensions matérielles et les dimensions spirituelles, dans une fusion des mondes au fond du creuset de l'immanence.

Quand le dieu est transcendant, il faut mourir pour aller le retrouver dans un Autre Monde après une longue marche doloriste et pénitencielle ; quand le dieu aux mille facettes est immanent, le dialogue avec les dieux devient constant ici et maintenant, parfois, c'est un banquet, parfois, c'est combat, mais il n'est nul besoin d'aller « ailleurs » pour s'immerger dans le sacré.

Cet esprit festif et sacré, nous allons en retrouver les meilleurs traces toujours dans le monde rural.

Le panthéisme, la ville et la campagne.

Bien que le panthéisme soit une métaphysique extrêmement élaborée défendable dans toutes les bonnes universités - et les œuvres de Spinoza le démontrent suffisamment - sa mise en pratique demande un environnement naturel le plus libre possible, et les villes ne portent plus cet avantage expérimental.

En effet, c'est bien dans les campagnes que les anciens rites natifs - aujourd'hui passés le plus souvent dans une dimension coutumière ou touristique - gardent une résonance avec le rituel et le sacré. Ici, c'est un « fest noz » breton, une de ces « fêtes de la nuit » que les évangélisateurs chrétiens tentèrent d'éradiquer ; là-bas c'est un pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle dont les racines sont préchrétiennes ; là encore, ce sont les vieilles recettes des grands-mères et des rebouteux qui rappellent le chaudron des sorcières qui fut celui des druides d'avant. Jeux, danses, chants, contes, habits traditionnels, sont autant de rites fondateurs d'inconscients collectifs qui ne veulent pas mourir. Et ils ont bien raison, car sur ce plan ethnologique, les valeurs de la ville n'ont rien à leur donner en échange ; c'est une question d'identité collective, mais aussi d'identité personnelle. C'est, par voie de conséquence, une question de liberté, et particulièrement de conscience.

En tout état de cause, il semble clair que le panthéisme trouvera un ferment particulièrement dynamique au contact de la pensée rurale dont l'essence même repose sur un dialogue avec la nature engendrant le respect qui lui est dû.

Ceci permet aussi de dire que, sur les plans traditionnels, métaphysiques et spirituels, le panthéisme provoque une vision écologiste en ce qui concerne le comportement humain puisque tout étant sacré, rien n'étant profane, tout ce que l'homme ponctionne dans la nature se fait sous le mode du sacrifice et de l'économie divine, et non pas sous le mode d'une délégation divine permettant à l'homme de faire ce qu'il veut d'un monde profane qu'il habite, le salut étant ailleurs. Le panthéisme n'est pas hédoniste.

Rites, rituels, sacré, présence à soi-même et l'absence de dogme.

Il n'y a rien de plus sérieux, il n'y a rien de plus adulte, il n'y a rien de plus libre, il n'y a rien de plus grandissant pour l'homme que le rite et le sacré dans la mesure où ces matières ne s'articulent pas sur des dogmes invérifiables. C'est bien là que parfois le sacré est opposable au religieux. En effet, le rite est expérience personnelle et collective ; il est porteur d'un savoir, ou plutôt d'une connaissance, d'une naissance à soi-même et aux autres.

Dans un cadre évocatoire, le rite est horizontal et relie les vivants et les morts par le souvenir que nous gardons d'eux. Dans un cadre invocatoire, le rite se verticalise et relie l'homme et le sacré en « nommant » les énergies qui donnent « sens » à son environnement. Dans un cadre incantatoire, l'homme devient démiurge et appelle à la concentration de toutes les forces afin d’agir dans les deux mondes.

Mais, quelle que soit la formule employée, le rite est avant tout expérience et présence à soi-même car tout acte rituel n'a de « sens » que s'il est sous-tendu par une volonté, un désir, une tension intérieure, une intention profonde et authentique. Sinon il tombe dans l'apparat magico-lyrique ou dans la théologie intégriste de l'acte fonctionnant ex opere operato. Ce n'est pas le rite qui est magique, c'est l'homme dans l'étonnant foisonnement de ses possibilités qu'il est appelé à explorer sous le contrôle d'une expérience transmise par les Anciens et qui a fait ses preuves. Le rite est aussi garde-fou car il est également un héritage et non pas une invention du moment. Il est patrimoine de l'humanité.

Je vais ici donner un exemple. Il suffit de superposer le vieux schéma antique des neuf muses de Plotin et le très moderne énéagramme utilisé maintenant en psychologie pour comprendre que les neuf points articulant la psyché humaine étaient connus depuis la plus haute Antiquité. Cela formait une connaissance qui se transmettait de génération en génération sous la forme de mythes fondateurs et de rituels structurants apportant une connaissance intuitive de l'homme et cependant expérimentale aussi.

Introduisez un dogme, ou plus, dans de telles transmissions et l'homme n'a plus qu'à croire ce qu'on lui permet de croire ; il n'est plus appelé à l'expérience, mais à l'obéissance. Cette castration mentale apporte toujours des systèmes impérialistes, doloristes et pénitentiaires.

Rites, rituels et hiérarchies spirituelles.

Toutes les spiritualités s'articulent autour de la perception prophétique, puis de la nomination d'un certain nombre d'entités qui généralement se résolvent toutes dans une grande unité neutre.

Par exemple, et puisque nous sommes en Bretagne, nous pourrions prendre en exemple la théologie celtique ancienne où nous voyons des triades de dieux et de déesses procédant les uns des autres en une échelle presque infinie d'hypostases, tout en se résolvant in fine dans une émanation unique, Lugos-Logos, lui-même étant issu d'un grand dieu neutre qui avait pour nom "Ce qu'on ne nomme pas".

La théologie chrétienne, qui n'a pas vraiment innové en la matière, possède aussi son Dieu lointain, suivi de son ternaire, lui-même suivi des hiérarchies d'archanges, de dominations, de principes, de puissances, etc. pour finir par les saints et les bienheureux. Ces hiérarchies font partie de la Trinité sous la forme de l'Esprit qui se présente à l'homme comme la partie de Dieu communicable aux hommes. C'est un schéma plutôt immanent. Quand on superpose ces deux schémas - hors de toute réflexion dogmatique bien sûr que le mouvement soit remontant ou descendant, il n'y pas grande différence.

Avec le temps, les monothéismes vont durcir leurs théologies et tenteront de mettre tous les anges dans le placard, car ils avaient une tendance à trop rappeler les dieux de l'ancien temps. Mais surtout ils étaient un obstacle théologique majeur à une définition transcendante de Dieu puisqu'ils avaient pour attribut d'être permanents dans l'immanence. Cette réalité fut à la source de bien des hérésies.

Il est fondamental, quand on aborde les notions de rites et de rituels, ou qui plus est, de sacré, d'aborder cette facette de la métaphysique car il n'y a pas de rituels sans référents. Un rituel se met le plus souvent sous l'égide d'une entité, d'un référent, et il est important de bien discerner à qui l'on s'adresse, à un ancien (évocation) ? à un être intermédiaire ou à un dieu (invocation) ? Chacun est libre de faire ce qu'il veut mais à la seule condition de bien connaître les clés et leurs correspondances avec les portes... et les légendes disent qu'il en est certaines qu'il ne vaut pas mieux ouvrir.

Une vision panthéiste des rites et des rituels sera particulièrement vigilante sur ce point ce qui laisse supposer quelques années d'études en bonne et due forme. Le panthéisme est exigeant sur bien des aspects car, répétons-le encore une fois, il impose l'expérimentation individuelle comme base de préhension d'une connaissance objective même dans les domaines spirituels.

Rites, rituels, sacré et la pensée unique.

Une vision panthéiste du monde ne peut par définition être dogmatique, car elle fait appel à l'expérience individuelle et collective ; transculturelle et transreligieuse, cette vision du monde s'attache bien évidemment à la conservation et la mise en pratique de tous les rites existants pourvu que ces derniers ne soient pas castrateurs et qu'ils soient de bons outils d'accouchement dans le cadre du « connais-toi toi-même ». Tout ici repose sur la liberté de conscience e t le libre accès à toutes les connaissances, seuls ferments valables pour élargir conséquemment nos champs de conscience. Pourquoi donc ?

Les rites, les rituels, sont comme des livres. Si vous voulez une belle bibliothèque pour enrichir vos connaissances, et si vous n'êtes pas un monomaniaque de tel ou tel sujet, il faudra qu'elle soit diversifiée, de qualité et bien rangée afin de ne jamais rien confondre.

La liberté fondamentale de l'individu dépend essentiellement de la diversité des choix qui se présente à lui. Imaginez un instant qu'il n'y ait plus qu'un seul type de rituels autorisé, ce serait le menu unique pour tous, ce serait l'établissement d'une pensée unique, ce serait la fin de la liberté spirituelle de l'homme. C'est en cela que certaines religions expansionnistes monothéistes sont dangereuses parfois car elles ne provoquent plus de relation au sacré, mais bien plus sûrement à la soumission. Sur les plans que nous évoquons aujourd'hui, il est certain que l'avenir de l'homme dépend de sa capacité à conserver la pensée multiple de l'ensemble de ses ancêtres.

En conclusion...

Je voudrais ici rappeler pour finir que les rites, les rituels et le sacré sont plus une affaire d'hommes qu'une affaire de dieux. Tant que l'homme n'oubliera pas qu'il fait partie d'un Tout sacré dans lequel rien n'est profane, tant qu'il se souviendra que, par voie de conséquence, il fait partie lui-même de la chair des dieux et qu'il ne tient qu'à lui de se le révéler à lui-même par le travail et l'expérimentation, ainsi son travail sera transmissible pour le mieux-être des générations à venir. Ainsi, rites, rituels et sacré ne sont que des interfaces utilitaires de la liberté de conscience, seul but à atteindre si l'on veut être présent à soi-même qualitativement.

 


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